Combien d’entreprises issues de la fusion de plusieurs entités ou du rachat d’autres entreprises ont vu leur valeur globale diminuer ? Malgré la grande expertise financière, commerciale et juridique nécessaire, les exemples sont légion… On peut donc se demander quelles dynamiques sont suffisamment puissantes pour faire échouer ces espoirs d’économies d’échelle et de démultiplication des marchés ? La réponse se trouve souvent l’absence de prise en compte des questions d’intégration culturelles et multiculturelles.
Sommaire
Pourquoi le management multiculturel n’est-il pas une priorité lors d’une fusion / acquisition internationale ?
Une appréciation économique avant toute chose
En France, les entreprises multinationales représentent 1% de l’ensemble des entreprises mais elles emploient 51% des salariés (Insee, 2020). De quoi les mettre au premier plan des besoins de management multiculturel.
Ces entreprises abordent leurs activités sous un angle principalement économique et commercial, enjeu majeur. Et les opérations de M&A participent de cette logique. Elles sont conduites à partir de quantité d’expertises, d’évaluations et de diagnostics. Mais les analyses économiques ne garantissent pas le succès d’un projet. Et les aspects humains, et plus particulièrement culturels, figurent rarement parmi les indicateurs de risque ou les facteurs de succès futurs. Probablement parce que les différences culturelles déroutent souvent les dirigeants d’entreprises et les experts M&A, pour qui ce sont des différences impalpables.
La réalité des effets des différences culturelles
Or les effets des différences culturelles sur la manière de diriger une entreprise sont bien réels. Les entreprises qui vivent avec différentes cultures dans leurs équipes ont plus de difficultés que les autres à prendre des décisions rapidement et à fonctionner efficacement. Et parfois, c’est toute la chaine de prise de décision qui se grippe. Car même sur des aspects aussi objectifs que du reporting financier, il y a des différences entre les pays sur comment présenter ou interpréter les données !
Prendre le temps de comprendre et d’investir dans le « capital humain immatériel » que représente culture est rarement une évidence pour les dirigeants. Il est souvent vu comme une dépense et non pas comme un actif dans lequel investir pour s’assurer de la fiabilité de la valeur de l’entreprise.
Les dirigeants n’en viennent à prendre en compte les paramètres culturels que lorsqu’ils ont épuisé l’analyse de tous les autres facteurs de dysfonctionnement et de mauvaise gestion. Alors qu’à l’occasion d’une fusion ou d’une acquisition internationale, les différences interculturelles se manifestent de plusieurs manières :
- Choc des cultures lors de rapprochements avec des entreprises d’autres cultures
- Difficulté de contrôler certaines filiales de cultures très éloignées
- Problèmes d’adaptation des cadres expatriés dans le cadre d’une mobilité internationale
Chaque opération de M&A nécessite donc une grande expertise dans l’intégration culturelle, tout autant qu’une expertise financière ou juridique. Aujourd’hui, comment les aspects « humains » des fusions acquisitions sont-ils pris en compte, et plus particulièrement, leur dimension interculturelle ? Comment, sans cela, assurer la synergie des équipes et faciliter la mise en œuvre des projets communs ?
Le management multiculturel en dernier ressort
Le management interculturel arrive encore trop souvent comme une réponse de crise face au risque devenu réel d’échec d’une fusion ou d’une acquisition internationale. Il est convoqué au pire moment, quand chaque équipe doit faire son travail habituel et en plus intégrer de nouvelles valeurs, de nouveaux process, quand la charge de travail est très importante, que tout va très vite et qu’on ne se comprend pas toujours entre équipes multiculturelles. Et c’est comme cela que remontent à la surface toutes les aspérités culturelles, et les tensions qui vont avec.
Il s’agit pour les dirigeants de reconnaitre que la culture est à la fois puissante et implicite, et qu’il est peu probable que les collaborateurs modifient leurs croyances culturelles sur simple « demande » d’adopter de nouvelles valeurs culturelles. La culture, et les comportements qui en découlent, peuvent rapidement affecter la valeur de la nouvelle entité.
Alors pourquoi ne s’intéresser aux cultures en entreprise que face au risque financier, face au risque de perdre l’argent investi ?
En quoi le management multiculturel est-il un facteur clé de réussite dans ce contexte ?
Pour envisager les synergies entre équipes
Acquérir ou fusionner des entités se fait par le rapprochement de collaborateurs qui doivent coopérer pour atteindre des objectifs stratégiques communs. Mais même entre des pays culturellement proches comme les Etats-Unis et le Royaume-Uni, des adaptations et des réajustements sont nécessaires à chaque instant. C’est pour cela qu’avant d’envisager des synergies entre des équipes internationales, il est nécessaire de savoir identifier les systèmes de valeur et les comportements spécifiques à la culture de chacun, pour susciter une confiance mutuelle. Il est nécessaire de comprendre chacun, d’où les équipes viennent, leur cadre de référence, pour mieux anticiper les comportements des uns et des autres et favoriser la cohésion d’ équipe. A cela s’ajoute une réflexion à mener sur la culture d’ entreprise et les valeurs de chaque entité, par exemple avec l’analyse des organisations, des procédures et des systèmes de rémunération.
Le management interculturel permet d’identifier les différences de culture et d’approche entre les décideurs et les équipes de différents pays, et leur apprendre à travailler ensemble, pour limiter le risque de conflit en entreprise. C’est un outil stratégique qui contribue à créer une reconnaissance des différences et à comprendre « l’intelligence » de chaque environnement, de chaque entité. Par leurs différences, les équipes sont complémentaires, puisque des approches différentes de projets conduisent souvent à de nouvelles solutions, à partir de leurs compétences et forces respectives. C’est particulièrement utile dans ces moments structurants où les résistances au changement liées au rapprochement d’entreprises sont nombreuses.
Le processus d’apprentissage multiculturel
On peut décomposer ce processus d’apprentissage en 3 éléments interconnectés et chronologiques :
- L’affectif – les collaborateurs qui sont embarqués dans une fusion / acquisition internationale sont d’abord amenés à prendre conscience des enjeux des différences culturelles. Les relations de travail avec des équipes d’autres pays vont généralement spontanément déclencher de la curiosité, de l’intérêt.
- Le cognitif – les collaborateurs vont petit à petit identifier le fonctionnement des systèmes culturels et de management, en utilisant des outils de management interculturel, qui expliquent par exemple les différences de relation à l’autorité ou au temps. Ce cadre cohérent les aide à mieux comprendre ce qu’ils perçoivent comme des comportements « bizarres » ou « étranges » de la part de leurs collègues.
- Le comportement – chacun va enfin inventer et développer des stratégies comportementales plus adéquates et efficaces.
Ne pas intégrer ces 3 dimensions, ne pas préparer les collaborateurs de plusieurs nationalités à travailler ensemble, augmente considérablement le risque d’échec d’une fusion / acquisition internationale. Faire collaborer des personnes d’origine et culture différentes au sein d’une entreprise, sans même parler d’esprit d’ équipe, est tout l’enjeu du management interculturel.
Deux pistes pour faire des cultures un atout lors d’une fusion / acquisition internationale
On sait que la dimension culturelle et interculturelle n’empêchera que rarement une fusion d’ entreprise ou une acquisition. C’est donc aux dirigeants qui mènent ces opérations d’empêcher qu’elles sapent les objectifs qu’ils souhaitent atteindre.
1. En amont, réaliser un diagnostic de « due diligence » culturelle
Cela permet de cartographier, mesurer et assurer le suivi des valeurs d’une entité avant et après l’opération de M&A. Il est alors plus facile de diminuer l’entropie culturelle (c’est-à-dire l’énergie dépensée à la réalisation d’un travail improductif) et d’augmenter l’alignement des cultures et de la stratégie.
- Par l’identification des barrières culturelles et des écarts interculturels, que l’on repère par exemple dans le langage ou dans les modes organisationnels. En effet, le vocabulaire est rarement le même d’une entreprise à l’autre. Ainsi, la fonction de « project manager » ou de « direction d’usine » correspondent rarement aux mêmes périmètres d’une entreprise à l’autre. Un glossaire partagé est souvent utile.
- Par la définition des caractéristiques des deux cultures organisationnelles (valeurs individuelles, relationnelles, organisationnelles, sociétales, etc.). Il s’agit de savoir ce que l’on est et ce que l’on veut être. On parle souvent alors de « thumbprint » culturel.
- Par l’identification des valeurs et leviers de convergence pour activer une culture partagée appropriée par rapport à la stratégie globale. Il s’agit alors pour le Comex de voir comment intégrer ces visions divergentes et complémentarités dans le cadre des valeurs préexistantes et de voir comment cette intégration culturelle se concrétisera par des outils et méthodes partagés partout.
Ce diagnostic va bien au-delà de la communication interculturelle. Il est souvent réalisé par des coachs et experts interculturels, a un coût négligeable par rapport à l’ampleur de l’opération de M& A, pour s’assurer de la viabilité de la future création de valeur au plan international.
Ainsi, aligner les enjeux humains et business d’une telle opération passe aussi par le fait d’inclure des éléments perçus comme immatériels, comme la culture d’entreprise. Se doter d’une équipe internationale dédiée et identifier les moyens de communication les plus efficaces sont des étapes importantes pour établir une vision harmonisée. Pour cela, il faut identifier les personnes représentantes de la diversité culturelle, pour permettre la représentation de tous les points de vue, même dans un contexte de rachat. Ces « représentants » appartiennent souvent aux RH et rendent régulièrement compte de l’avancée de leurs travaux au CoDir. Il est utile de les soutenir par des intervenants externes, qui apportent un éclairage extérieur dans l’identification de la culture.
2. En aval, commencer par faciliter les processus de prise de décision
L’intégration post-fusion est généralement un moment de grande pression de temps. Beaucoup de tâches doivent être accomplies rapidement, en parallèle de la nouvelle constitution d’ équipes. C’est le moment d’une approche ciblée pour travailler avec chacun et réduire les façons dont les différences culturelles amplifient les risques d’échec.
Se concentrer sur une approche commune de la prise de décision permet de les accélérer et de les rendre plus appropriées. En effet, le style de prise de décision est ancré dans la culture de chaque entreprise. Être capable de prendre des décisions a un effet direct et significatif sur les résultats de l’intégration. Au risque de s’exposer à une chute de la loyauté des clients et des collaborateurs si la machine se grippe.
Les différences de décision sont en réalité souvent moins importantes que la différence culturelle dans les styles de prise de décision. Les dirigeants peuvent s’attaquer à ce problème avec le soutien de « l’équipe culturelle » de plusieurs manières :
- Identifier les principaux décideurs de chaque domaine de l’intégration
- Identifier le style de prise de décision lié à chaque culture d’entreprise, pour les aider à agir plus efficacement dans ce contexte multiculturel, et limiter leurs difficultés de communication.
- Communiquer sur les délais dans lesquels les décisions doivent être prises et le niveau acceptable de fiabilité des hypothèses, par exemple en encourageant une prise de décision à 80% de « certitude » plutôt que 100%.
En conclusion, les difficultés les plus souvent rencontrées dans les fusions-acquisitions internationales sont liées à l’absence de convergence des cultures d’entreprise et des cultures nationales. Intégrer les forces de chaque culture et de chaque équipe d’une part, et d’autre part établir une cohérence entre la stratégie globale, les cultures, les modalités d’organisation, les approches managériales et enfin les styles de communication sont des défis inhérents aux fusions et acquisitions. En matière de M&A culturelle, en tant que chef d’ entreprise, coexister, c’est échouer.