Prendre un nouveau poste est une étape clé dans une carrière, mais lorsqu’il s’agit de s’installer dans un autre pays, les enjeux se multiplient. Au-delà des compétences techniques et managériales, les différences culturelles, les attentes implicites et la nécessité de s’adapter rapidement à un nouvel environnement professionnel rendent ces 100 premiers jours particulièrement délicats.
Tout est à réinventer : vos habitudes, vos relations, votre mode de management, votre style de leadership… Les erreurs se paient cash, mais les bonnes stratégies ouvrent des portes insoupçonnées. Comprendre ces défis et anticiper les pièges vous permettra de construire une transition réussie. Si certaines stratégies sont souvent évoquées – comme gagner la confiance des équipes ou remporter des victoires rapides et faciles – d’autres clés, plus subtiles, restent largement sous-estimées. Dans cet article, je vous propose des clés concrètes, issues d’expériences réelles, qui pourront faire la différence lors d’une mobilité internationale, que vous soyez Français partant à l’étranger ou « international » arrivant en France.
Sommaire

Les clés de réussite incontournables à l’international
L’art de la patience stratégique : observer avant d’agir les 100 premiers jours de votre prise de poste
Dans votre pays d’origine, vous connaissez déjà les codes implicites de l’entreprise et du marché. À l’étranger, chaque interaction peut être sujette à malentendu : une attitude proactive peut être perçue comme intrusive, et un silence comme un signe de désintérêt. Il faut donc vous adapter à un rythme différent et éviter de projeter vos propres références culturelles sur l’environnement local. Plus facile à dire qu’à faire !
Ces premiers mois de prise de poste, chaque action peut contribuer à asseoir votre légitimité. Mais attention : vouloir tout changer rapidement est un piège qui vous fera passer pour quelqu’un au mieux de déconnecté, au pire, d’arrogant. Certains succès viennent non pas d’actions immédiates, mais de votre capacité à laisser mûrir les relations, à attendre le bon moment pour proposer une nouvelle idée ou prendre une décision clé. Ne confondez pas rapidité et précipitation : adaptez votre tempo ! Dit autrement : agissez comme un invité avant de vouloir être un leader.
Cela ne vous empêche pas de trouver un ou deux « quick wins » qui démontrent votre valeur tout en respectant les sensibilités locales. Ces victoires seront votre carte de visite et prouveront que vous êtes là pour apporter des solutions concrètes, pas seulement des idées abstraites. Je repense à une cadre Allemande envoyée en France pour diriger une équipe marketing, que j’ai accompagnée il y a quelques années. Le premier projet concret dont elle a décidé de s’emparer : le manque d’outils numériques adaptés pour son équipe multiculturelle. Elle a donc fait installer un outil collaboratif qui a simplifié le travail quotidien de son équipe. Quick win !
Votre premier mois n’est donc pas fait pour briller, mais pour apprendre.
- Écoutez les équipes : quelles sont leurs attentes, leurs craintes ?
- Observez les règles implicites : comment circulent les décisions, qui influence qui ?
- Posez des questions : qu’est-ce qui fonctionne ici et pourquoi ?
- Évitez les stéréotypes : ne présumez pas que tous les membres d’une culture agissent de la même manière. Prenez le temps de comprendre chacun et chacune.
- Identifiez rapidement un ou deux projets réalisables qui auront un impact visible pour vos équipes ou vos clients locaux.
Apprivoiser la culture locale sans perdre son ADN
Que vous soyez Français partant à l’étranger ou « international » arrivant en France, vous ne pouvez pas simplement appliquer les méthodes qui ont fait leurs preuves chez vous. Un grand classique des pièges (et je ne vous jette pas la pierre, qui n’est pas passé par là…) : croire que votre méthode est universelle. Chaque culture a une manière spécifique de prendre des décisions, de communiquer et de travailler en équipe. Il faut jongler avec des attentes parfois contradictoires entre votre maison-mère et le marché local. C’est notamment ce qu’ont théorisé Baruch, Peltoniemi et Vuori au tournant des années 2000, en soulignant l’importance de l’équilibre entre stratégie globale (global) et besoins locaux (local).
Et une mauvaise interprétation des signaux culturels peut vite mener à des tensions. Par exemple, dans certaines cultures asiatiques, interrompre un interlocuteur est perçu comme impoli, tandis que dans d’autres pays occidentaux, cela peut être vu comme un signe d’engagement. Si vous voulez en savoir plus, vous pouvez faire un détour par le modèle des dimensions culturelles de Geert Hofstede, accessible en ligne. Il a identifié six dimensions culturelles (distance hiérarchique, individualisme vs collectivisme, masculinité vs féminité, évitement de l’incertitude, orientation à long terme, indulgence vs retenue) qui influencent le management et la prise de poste à l’international.
Comment faire ?
- Investissez du temps pour vous familiariser avec des notions interculturelles avant votre prise de poste, par exemple avec le soutien de votre département des ressources humaines.
- Créez une « checklist culturelle » avant votre départ et adaptez-la en fonction de vos observations sur place. Ce sera votre boussole pour éviter les maladresses.
- Lors de réunions stratégiques, posez deux questions : « Comment cela s’aligne-t-il avec la stratégie globale ? » et « Comment cela répond-il aux besoins locaux ? »
- Identifiez un mentor local, quelqu’un qui vous expliquera les codes implicites.
- Restez vous-même : s’adapter ne signifie pas de se déformer, mais ajuster sa manière de communiquer.
Apprendre à lire entre les lignes lors de sa prise de poste à l’international : décrypter la communication implicite
Les subtilités du langage corporel varient d’un pays à l’autre. Ce qui est considéré comme un signe de confiance en France peut être perçu comme une agression ailleurs. Une mauvaise maîtrise de ces codes peut créer des incompréhensions et nuire à la crédibilité.
Dans certaines cultures, comme au Moyen-Orient ou en Asie, la communication est souvent indirecte. Les messages ne sont pas toujours exprimés clairement mais passent par des sous-entendus ou des gestes subtils. Décoder rapidement des comportements implicites tout en évitant de tirer des conclusions hâtives basées sur ses propres biais culturels est un défi quotidien. Et ignorer ces nuances peut conduire à des malentendus embarrassants.
Etes-vous sûrs de savoir interpréter tous les silences ? Signe de désaccord poli ou accord tacite ? Etes-vous sûrs de savoir interpréter tous les « oui » ? Dans certaines cultures asiatiques ou arabes, il peut simplement signifier « je vous écoute », sans garantir un accord réel.
Stratégies à privilégier :
- Familiarisez-vous avec les styles de communication locaux (directs ou indirects) et n’hésitez pas à demander confirmation pour éviter toute ambiguïté.
- Soyez attentif aux signaux faibles : un silence, un sourire, un hochement de tête… beaucoup de choses peuvent vous éclairer pour décoder une situation.
- Apprenez les subtilités du langage corporel : dans certains pays, une poignée de main ferme est un signe de confiance, dans d’autres, elle peut sembler agressive. Un regard soutenu peut être perçu différemment selon les cultures. En Allemagne, un silence signifie souvent une réflexion profonde, alors qu’au Brésil, il peut être perçu comme un malaise.
Construire une alliance avec les décideurs-clés… et les alliés invisibles
Dans un environnement professionnel étranger, votre réseau relationnel est souvent plus important que vos compétences techniques. Mais attention : il ne s’agit pas seulement de rencontrer beaucoup de gens, mais de construire des alliances solides avec ceux qui ont une influence clé dans l’organisation et sur le marché local. Sans alliances locales, vous risquez de vous retrouver isolés et en difficulté pour avoir un impact. Comprendre les hiérarchies informelles et les jeux d’influence des différentes parties prenantes est essentiel.
Et évidemment, défi spécifique à cet environnement international : développer des alliances… sans maîtriser parfaitement les subtilités culturelles et parfois sans partager la langue locale !
A noter également : les dynamiques relationnelles peuvent beaucoup varier. En Chine ou au Moyen-Orient, établir des relations personnelles solides est souvent un préalable à toute collaboration professionnelle. La confiance se construit lentement et passe par des interactions informelles répétées. Ce n’est pas le cas en France !
Autre piste à explorer : les influenceurs informels qui ne figurent pas nécessairement sur l’organigramme mais qui jouent un rôle clé dans la dynamique interne. Ces personnes peuvent être des assistants expérimentés, des collaborateurs historiques ou même des employés juniors bien connectés. Si vous arrivez à créer de bonnes relations avec quelqu’un qui connait les rouages politiques de l’entreprise, cela vous aidera à éviter quelques faux-pas et pièges organisationnels.
Quelles actions mettre en place ?
- Identifiez les influenceurs internes, ceux qui « mettent de l’huile dans les rouages » par leurs connaissances de l’écosystème organisationnel.
- Soyez stratégique dans vos premiers projets, pour privilégier ceux qui vous donneront des victoires plus rapides et plus visibles.
- Multipliez les interactions informelles en respectant les pratiques sociales locales : un dîner, un café, un événement sportif… c’est là que se jouent les vraies alliances.
- Investissez du temps pour créer des relations au-delà du stade de la superficialité polie
Ne pas sous-estimer la courbe d’adaptation lors des 100 premiers jours d’une prise de poste à l’international
Le choc culturel ne concerne pas seulement la vie quotidienne, mais aussi les attentes professionnelles. Les rythmes de travail, la perception du temps et la résolution des conflits varient énormément d’un pays à l’autre. Une expatriation réussie, c’est maîtriser l’art de l’inconfort. Vous devez donc être prêts à affronter une période d’inconfort avant de trouver votre équilibre.
Le choc culturel arrive toujours, même quand on croit y échapper, parce qu’on travaille dans un pays « voisin ». Pour éviter de vous retrouver dans la situation où votre équipe vous trouve « négatif » alors que vous pensez simplement être « réaliste », il est essentiel d’identifier où vous en êtes de votre adaptation interculturelle. Trois phases ont été théorisées dans le modèle U-Curve par Lysgaard (1955) :
- L’euphorie initiale : tout semble excitant.
- Le choc culturel : incompréhensions, doutes et frustrations.
- L’adaptation : construction d’un équilibre entre vos habitudes et celles du pays.
Gérer l’impact sur votre équilibre personnel
Votre accomplissement dépend aussi de votre entourage personnel. Changer de pays bouleverse non seulement votre vie professionnelle mais aussi votre vie personnelle. Loin de vos repères habituels, vous êtes exposés à davantage de solitude, à l’éloignement familial. Idem pour votre conjoint(e) ou vos enfants, eux aussi plongés dans un nouvel environnement.
Quelques points de vigilance :
- Anticipez les effets sur votre entourage : si votre conjoint(e) est sans activité, il ou elle peuvent se sentir isolés.
- Préservez vos rituels personnels : sport, méditation, hobbies… ils vous aideront à garder le cap.
- Créez un réseau de soutien : amis, expatriés, groupes professionnels… pour limiter le risque de vous sentir seuls

Les clés de réussite plus personnelles et subtiles
Au-delà des clés de réussite incontournable, il est aussi intéressant d’avoir en tête des éléments moins connus et visibles qui pourront vous aider tout au long de votre prise de poste à l’international.
La gestion de l’énergie plus que du temps
Dans un environnement inconnu, la fatigue mentale est décuplée – et cela ne sera pas précisé sur votre fiche de poste ! Plutôt que de tout miser sur des outils de productivité, les prises de postes réussies passent par le fait de savoir préserver votre énergie en identifiant les interactions et décisions qui comptent vraiment.
Cultiver une « intelligence contextuelle » au-delà des apparences lors des 100 premiers jours de votre prise de poste à l’international
L’adaptation culturelle est importante lors de ce type de prise poste, mais « l’intelligence contextuelle » aussi. Il s’agit de votre capacité à comprendre non seulement la culture du pays, mais aussi les dynamiques spécifiques de votre organisation dans ce contexte. Par exemple, une entreprise Française opérant en Inde peut avoir une culture interne qui combine des valeurs Françaises (orientation vers les résultats de moyen et long-terme) avec des pratiques locales (respect strict des hiérarchies).
Donc plutôt que d’essayer de tout miser sur la culture locale, prenez aussi le temps de décoder les interactions entre la culture organisationnelle et le contexte local. Cela vous permettra d’agir avec plus de finesse et de pertinence dans vos décisions.
Adopter une posture d’humilité proactive
L’un des pièges fréquents lors d’une prise de poste à l’international est de vouloir appliquer directement ce qui a fonctionné dans votre pays d’origine. Pourtant, chaque culture a ses spécificités et chaque équipe ses dynamiques internes.
Que vous soyez manager ou leader, pour inspirer confiance lors de votre prise de poste internationale, donner l’impression de tout savoir mieux que les autres serait fatal. Ne confondez pas confiance et arrogance. Les personnes qui réussissent à l’international sont celles qui savent écouter et faire preuve d’humilité avant d’imposer leurs idées. Ce n’est pas à eux de s’adapter à vous. Alors soyez curieux, posez des questions ouvertes et montrez que vous valorisez les perspectives locales autant que votre propre expérience internationale pour faire avancer votre feuille de route. En écoutant avant d’agir, vous montrez que vous êtes prêts à apprendre autant qu’à diriger.
Savoir gérer l’ambiguïté comme un levier stratégique de votre prise de poste à l’international
On l’a dit, à l’étranger, tout est moins clair : les attentes sont parfois implicites, les règles officieuses priment sur celles officielles, et les décisions peuvent sembler irrationnelles selon vos standards habituels. La capacité à gérer l’ambiguïté est une compétence sous-estimée mais cruciale pour réussir.
Si vous prenez de nouvelles fonctions à Dubaï, il est possible que ce que vous annonce votre entreprise en termes de délais soient souvent flexibles en raison de priorités changeantes liées à des relations personnelles ou politiques. Plutôt que de vous énerver face à cette imprévisibilité, apprendre à anticiper ces changements et à ajuster vos propres objectifs est utile.
Ce qui est évident pour vous ne l’est pas forcément dans votre pays d’accueil. Supposer que vos collègues ont les mêmes références ou priorités que vous serait une erreur. Poser des questions et reformuler ce que vous comprenez avec votre propre cadre de référence sont des outils bien utiles pour apprivoiser les ambiguïtés.
Exploiter le pouvoir des « micro-moments » pour développer des relations durables
Les relations professionnelles ne se construisent pas uniquement lors des grandes réunions ou projets stratégiques. Elles naissent souvent dans les micro-moments du quotidien : un café partagé, un échange informel dans un couloir ou une anecdote racontée lors d’un déjeuner. Ces instants sont des opportunités précieuses pour créer du lien en tant que nouvel arrivant.
Être attentif aux petits moments qui peuvent sembler insignifiants mais qui sont en réalité le fil directeur de relations solides est une autre clé de réussite, en particulier quand on ne maitrise pas encore bien la langue locale et qu’on se sent un peu isolé en réunion à plusieurs.
Créer une « mémoire collective » dès vos premiers jours
Dernière clé souvent négligée : la capacité à créer une mémoire collective avec vos équipes dès votre arrivée, a fortiori si vous arrivez dans une nouvelle entreprise. Cela signifie initier des expériences partagées – qu’il s’agisse de résoudre ensemble un problème, ou de définir ensemble les priorités du trimestre ou de participer à une activité sociale – qui resteront gravées dans les esprits comme un moment fondateur.
Planifier des événements ou activités permettront à vos équipes de vivre quelque chose d’intéressant avec vous dès le début.
En conclusion
votre prise de poste à l’international ne sera pas « un long fleuve tranquille » (expression si typiquement française !). Elle exigera bien plus qu’une simple adaptation professionnelle, parce qu’elle ne reposera pas uniquement sur des compétences techniques ou managériales acquises tout au long de votre parcours professionnel, mais sur votre maîtrise émotionnelle (rester calme sous pression), votre écoute active (montrer un intérêt sincère pour les autres) et votre authenticité (être fidèle à soi-même tout en respectant les normes locales). Observer avant d’agir, comprendre la culture locale, tisser des alliances tactiques et d’autres stratégiques, anticiper la courbe d’adaptation, maîtriser la communication non verbale et équilibrer sa vie professionnelle et personnelle sont autant de leviers indispensables pour assurer une transition réussie, et éviter de devenir une « erreur de casting ». Avec la bonne approche, elle peut devenir un accélérateur de carrière puissant.