Au Loto des concepts à la mode, ‘zone de confort’ et ‘VUCA’ sont très populaires. Vous vous dites probablement que vous savez ce qu’elles signifient…
Parmi les questions les plus posées sur Google au sujet du premier, on trouve « pourquoi il faut sortir de sa zone de confort » ou « est-ce mal de rester dans sa zone de confort ». La culpabilité guette… Parmi les questions les plus posées au sujet de second, on trouve « comment stabiliser le monde VUCA » ou « quelle est la meilleure façon de gérer VUCA ». Cette fois-ci, c’est plutôt l’ombre de Superman qui guette !
Et qu’apporte ‘BANI’, dans tout ça ?
Je ne propose pas ici de reprendre dans le détail chacune de ces notions qui tournent autour de la complexité et de l’incertitude de notre environnement, de nombreux articles le font très bien. Je propose plutôt de faire un point dépassionné sur ces 3 notions, de les mettre en perspective et de voir comment s’en servir aujourd’hui dans le monde du travail, ce qui devient très utile dans le cadre d’un coaching en entreprise.
Sommaire
VUCA, BANI : c’est quoi et à quoi ça sert aujourd’hui ?
En bref, les principales caractéristiques d’un environnement VUCA et d’un environnement BANI
Commençons par poser quelques jalons temporels : VUCA a été conçu décrire un monde post Guerre Froide, celui des années 90 qui n’est plus binaire ; BANI, lui, est apparu comme un VUCA 2.0, au tournant des années 2020.
Conçu au sein de l’armée américaine et de son US Army War College, VUCA (ou VICA en français) veut dire : Volatile, Incertain, Complexe, Ambiguë.
Conçu par l’anthropologue Jamais Cascio, également Américain, BANI (ou FANI en français) veut dire : Fragile, Anxieux, Non-Linéaire, Incompréhensible.
Les points communs entre VUCA et BANI
Ces deux acronymes ont pour objectif d’éclairer l’imprévisibilité et la complexité auxquelles sont confrontés les individus, les entreprises, les sociétés et les Etats. Ils sont apparus pour marquer de la distance avec « le monde d’avant », qui était Simple, Prévisible, Ordonné, Déterministe (SPOD – et oui, il a aussi droit à un acronyme !).
Avec VUCA et BANI, il s’agit d’être toujours sur ses gardes pour naviguer à vue, dans le flou généré par une crise financière, le Brexit, une invasion militaire, une pandémie…. Dans cette incertitude générale, impossible d’anticiper la probabilité d’un résultat, parce que nous avons peu ou pas de situations passées similaires auxquelles les comparer. Nous ne pouvons que jouer aux devinettes avec ce qui pourrait arriver, parce que nous n’avons pas l’expérience nécessaire pour évaluer le résultat le plus probable. De quoi remettre en question nos illusions de force, de contrôle, d’anticipation, et de connaissances démultipliées à l’infinie par Google et Wikipédia.
L’incertitude naît donc de notre difficulté à comparer le présent et son évolution rapide avec ce que nous avons connu jusqu’à maintenant. C’est pourquoi VUCA et BANI proposent tous deux comme réponse la nécessité de nourrir sa capacité d’ adaptation, de collaborer et de prévoir.
Voici quelques cas concrets de multinationales vues par les prismes VUCA et BANI :
- Netflix, qui est passée de la location de DVD à la diffusion en continu, pour survivre dans un marché fragile et non linéaire.
- Adobe, qui a modifié son modèle économique en passant de la vente de logiciels à un modèle d’abonnement basé sur l’informatique dématérialisée alors que le paysage numérique évoluait, au prix d’un effort continu d’apprentissage.
- Amazon, dont le modèle repose sur l’utilisation intensive d’algorithmes pour comprendre le comportement de chaque consommateur et contrer l’incertitude par des données.
- Uber, dont l’arrivée sur le marché des taxis a créé de l’incertitude pour les régulateurs et fragilisé les modèles traditionnels.
Et après VUCA et BANI ?
Parmi les tendances émergentes est récemment apparu le terme de « polycrise », issu du rapport Global Risks 2023 publié par le Forum économique mondial. On y lit : « les risques actuels et futurs peuvent également interagir les uns avec les autres pour former une polycrise – un ensemble de risques mondiaux liés dont les effets s’additionnent de telle sorte que l’impact global dépasse la somme des parties. »
On peut imaginer que cette notion aura bientôt un nouvel acronyme !
Quel est le lien avec la zone de confort ? Et pourquoi il faudrait en sortir ?
C’est quoi, une zone de confort ?
Dans cet environnement complexe VUCA – BANI, nous sommes heureusement organisés pour faire face à un certain niveau d’incertitude. Par exemple, grâce à des repères familiers sur lesquels nous nous appuyons au quotidien. C’est eux qui nourrissent notre zone de confort. Cette zone de confort, c’est un état psychologique où l’on se sent à l’aise, en sécurité, parce qu’on a un sentiment de maîtrise, de stabilité, de sécurité.
En tous cas, c’est comme cela qu’on en parle aujourd’hui dans la littérature managériale.
Faisons un retour aux sources, au début du XXème, quand les éthologues animaliers Robert M. Yerkes et John D. Dodson évoque cette idée en 1908 – oui, eux aussi sont Américains ! Vous l’aurez compris à leur métier, la zone de confort a d’abord été pensée pour décrire le comportement d’animaux.
Bien plus tard, dans les années 50, a été transposé aux humains le postulat qu’une « performance optimale » serait atteinte lorsqu’une personne sort de sa zone de confort. Avec une conséquence directe en management : la nécessité pour les managers et les dirigeants de générer un certain niveau de tension et d’inconfort auprès de leurs équipes pour qu’elles « sortent de leur zone de confort » et atteignent une zone d’excellence, de créativité… et donc de performance optimale.
Aujourd’hui, il est donc classique d’entendre qu’il faut éviter de tomber dans sa zone de confort au travail, car elle est vue comme un espace de médiocrité, de léthargie et de procrastination. D’où les requêtes les plus fréquentes sur Google, du type « comment dépasser ses peurs et sortir de sa zone de confort ? ».
Requêtes à mettre en regard de celles qui concernent la complexité inhérente à notre environnement, comme je l’évoquais en introduction : « comment stabiliser le monde VUCA », etc. De quoi devenir schizophrène…
D’autant qu’en période d’incertitude dans un environnement complexe, utiliser son expérience a ses limites. Car une autre manière de penser la zone de confort, c’est l’expérience. Beaucoup de managers et de dirigeants se disent qu’une bonne décision est basée sur leur expérience acquise, qui fait l’assise de leur zone de confort. Et dans beaucoup de situations incertaines, managers et dirigeants se tournent vers l’analogie historique pour préparer l’avenir et formuler des plans stratégiques. Déjà, au cours de leur cursus, les universités et grandes écoles leur ont montré des études de cas représentant différents modèles économiques, pour les aider à développer leur appréciation d’une situation et aiguiser leur jugement. Mais l’expérience passée offre des limites, comme le montrent la pandémie de Covid ou la crise climatique.
Quelles sont les nouvelles compétences nécessaires ?
Reprenons le fil de la zone de confort, et de l’injonction à en sortir. Est-ce qu’on peut réellement dire que les individus sont naturellement tentés de rester dans leur zone de confort ?
En constante évolution, les entreprises sont traversées par tant de transformations qui nécessitent toutes de développer de nouvelles compétences. Micro-florilège :
- Transformations technologiques, comme la digitalisation
- Accélération des rythmes de travail
- Télétravail
Dans ce contexte, il est difficile d’imaginer que chacun se repose sur les lauriers de sa zone de confort sans adapter ses pratiques professionnelles ! Car en réalité, notre zone de confort est le fruit de plusieurs apprentissages antérieurs, elle se développe dans un continuum d’adaptation. L’injonction à sortir hors de sa zone de confort – et à rester en dehors – ne répond donc en rien à la réalité.
Disons plutôt qu’à l’échelle d’une organisation, pour survivre et se développer dans le temps long, les entreprises ont besoin à la fois d’exploiter les compétences existantes de leurs équipes, et de les aider à en explorer de nouvelles. Pour avoir un leadership efficace, les entreprises ont donc besoin d’être en quelque sorte « ambidextres ». Et de concilier ces deux impératifs du présent et du futur, qui nécessitent des ressources et des modes de pensée différents, voire des modes organisationnels différents.
Et la résistance au changement dans cet environnement VUCA – BANI ?
Oui, elle existe. Mais elle résulte souvent moins d’un trait de personnalité que du jeu des acteurs pour négocier une marge de manœuvre et d’autonomie dans leur travail.
Il est vrai que nous ne grandissons pas si nous n’explorons pas au-delà de nos limites. Mais vivre dans un état constant de tension et d’incertitude ne permet pas de retrouver son équilibre et transforme l’entreprise en champs de bataille larvé. Retour à la Guerre Froide !
L’important avec l’idée de zone de confort, c’est de l’appréhender comme un espace élastique qui peut changer de forme et de taille. Comme un abri à partir duquel nous nous aventurons. Pour reconnaître quand il est possible d’y rester en valorisant son expertise et son savoir-faire, et quand il est nécessaire de la faire évoluer pour identifier sa prochaine étape, voire repousser ses limites en développant sa capacité d’ adaptation.
Parce que lorsqu’on se sent à l’aise, on peut se concentrer, rassembler ses idées et clarifier son processus de décision pour avancer, d’une étape à l’autre, pour s’ouvrir à de nouvelles fonctions, à de nouvelles équipes ou à de nouvelles façons de travailler.
Quelques questions de coach pour aller plus loin
Quelle stratégie imaginer dans un environnement VUCA – BANI ?
Travailler dans un monde VUCA – BANI, c’est travailler en sachant que nos besoins et les hypothèses sur lesquelles ils reposent peuvent changer rapidement et de façon imprévisible. C’est pourquoi préparer l’avenir nécessite une réévaluation constante, et pas seulement de l’environnement économique.
Travailler dans un monde VUCA – BANI nécessite aussi un environnement de travail qui favorise un climat d’ouverture, d’exploration et une culture d’ apprentissage, qui encourage une prise de risques maitrisée pour tester des hypothèses, étudier les possibilités et trouver des solutions aux points de blocages.
Si un jardinier ou un agriculteur ne peut pas tirer sur une plante pour qu’elle pousse plus vite, les managers et dirigeants d’une entreprise ne peuvent pas forcer le changement dans un environnement incertain. Ils doivent plutôt s’intéresser à améliorer la qualité des relations au sein des équipes, pour que le comportement collectif facilite des résultats concrets.
Voici quelques questions pour alimenter vos réflexions et nourrir vos prochaines actions, dans une approche proactive :
Questions de coach liées au collectif et aux relations au sein des équipes
- Dans quelle mesure votre équipe projet, votre équipe managériale ou votre conseil d’administration sont-ils fragilisés par l’incertitude ?
- Pour chaque type de collectif, quel est le degré de « solidité » nécessaire pour résister à la pression de la volatilité, de l’incertitude ?
Questions de coach liées à votre rôle
- Et vous, comment pouvez-vous contribuer à clarifier les objectifs et l’engagement du type de collectif auquel vous appartenez, afin que votre entreprise puisse mieux résister à la pression ?
- Quelles sont les personnes disponibles sur lesquels vous pouvez vous appuyer, et les ressources nécessaires ?
- Comment pouvez-vous contribuer à limiter l’ampleur des bruits volatiles pour capter les signaux les plus importants ?
- A partir de ces signaux et de la culture d’ entreprise, quels éléments de contexte pouvez-vous partager avec vos équipes pour limiter l’impression de complexité et de non-linéarité ? Quelles sont les informations disponibles, mais aussi celles qui ne sont pas encore connues et votre opinion à leur sujet ?
- Et comment pouvez-vous contribuer à développer un environnement professionnel propice à l’essai-erreur, pour développer la zone de confort de chacun et mieux s’adapter collectivement à long-terme ?
En conclusion, l’incertitude va de pair avec la nouveauté, qui, par définition, offre peu d’antécédents. Alors que le présent ressemble de moins en moins au passé dans un environnement VUCA – BANI, souvenons-nous de l’approche précurseuse de Forrest Gump et de sa mère, qui dès 1994, disait que « la vie, c’est comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber ! » Et son insoluble question : la boîte de chocolat, elle représente le monde VUCA – BANI ou notre zone de confort ?